«Il faudrait des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle, une langue qui blesse moins que la mienne, maternelle".
En moins de deux cents pages vibrantes de vie, de lucidité implacable et d'amour, Edith Bruck revient sur son destin : de son enfance hongroise à son crépuscule. Tout commence dans un petit village où la communauté juive à laquelle sa famille nombreuse appartient est persécutée avant d'être fauchée par la déportation nazie. L'auteur raconte sa miraculeuse survie dans plusieurs camps de concentration et son difficile retour à la vie en Hongrie, en Tchécoslovaquie, puis en Israël. Elle n'a que seize ans quand elle retrouve le monde des vivants. Elle commence une existence aventureuse, traversée d'espoirs, de désillusions, d'éclairs sentimentaux, de débuts artistiques dans des cabarets à travers l'Europe et l'Orient, et enfin, à vingt-trois ans, trouve refuge en Italie, se sentant chargée du devoir de mémoire, à l'image de son ami Primo Levi.
"Pitié, oui, envers n'importe qui, haine jamais, c'est pour ça que je suis saine et sauve, orpheline, libre."
«Le monde magnifique et horrible de Mariana Enriquez, tel qu'on l'entrevoit dans Les Dangers de fumer au lit, avec ses adolescents détraqués, ses fantômes, les miséreux tristes et furieux de l'Argentine moderne, est la découverte la plus excitante que j'ai faite en littérature depuis longtemps».
Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littérature.
Peuplées d'adolescentes rebelles, d'étranges sorcières, de fantômes à la dérive et de femmes affamées, les douze histoires qui composent ce recueil manient avec brio les codes de l'horreur, tout en apportant au genre une voix radicalement moderne et poétique. Si elle fait preuve d'une grande tendresse envers ses personnages, souvent féminins, des êtres qui souffrent, qui ont peur, qui sont opprimés, Mariana Enriquez scrute les abîmes les plus profonds de l'âme humaine, explorant de son écriture à l'extraordinaire pouvoir évocateur les voies les plus souterraines de la sexualité, du fanatisme, des obsessions.
«Mon coeur ressemble à un arbre noir couvert d'oiseaux jaunes qui piaillent et me perforent la chair.» Tel est l'autoportrait brut et sans tabou d'un écrivain confronté à la disparition de ses parents. Assailli par les fantômes de son passé, il retrouve espoir dans le souvenir baigné de lumière jaune de leur amour et de la beauté d'antan. À travers l'évocation d'une famille modeste, c'est alors la peinture d'une certaine Espagne qui se révèle à nous dans toute sa complexité. L'appartenance à une classe sociale, l'éducation, l'alcoolisme ou encore la paternité sont autant de sujets traités ainsi de façon personnelle et collective à la fois.
Profondément sincère, bruyamment intime, merveilleusement écrit dans une langue à la fois poétique et crue, Ordesa se lit comme la catharsis d'un deuil impossible, celui de la mort de nos parents et de la fin d'une époque, une expérience pour le moins universelle.
Phénomène de librairie en Espagne, Ordesa a été désigné Meilleur livre de l'année par les grands quotidiens El País et El Mundo, imposant Manuel Vilas comme un écrivain majeur de la littérature espagnole.
«Voici l'album, les archives, la mémoire sans mensonges ni consolation d'une vie, d'une époque, d'une famille, d'une classe sociale condamnée à tant d'efforts pour obtenir si peu. Il faut beaucoup de précision pour dire ces choses, un acide, un couteau aiguisé, une aiguille assez fine pour faire éclater le ballon de la vanité. Ce qui reste à la fin, c'est l'émotion propre de la vérité et la détresse devant tout ce qui a été perdu.» Antonio Muñoz Molina «Un livre magnifique, courageux et bouleversant»
Une épopée versifiée, imaginée comme une exploration du monde par les actions, les gestes, les aventures.
La narratrice vit des scènes et des idées, dans son esprit et en dehors, à toute allure. Elle est tour à tour et à la fois : folle, amoureuse, malade, sage, inquiète, calmée.
Un livre comme une encyclopédie incarnée, libre et subjective, une lecture et une auscultation du monde, allant des plus petites choses : la peau, les insectes, les atomes ; aux plus larges : les populations humaines, la guerre, les ciels. Des choses les plus intérieures : les sensations, les questionnements propres ; aux plus matérielles : la médecine, l'anatomie, l'architecture.
Une foi dans le langage rendu à sa force et à sa netteté, à ses trouvailles «brisant les verrous des choses», un vif désespoir éclatant, un humour et une vivacité, un livre aussi réjouissant que troublant.
Après La Semaine perpétuelle (Éditions du sous-sol, mention spéciale du jury prix Wepler 2021) et son anthologie Vous êtes de moins en moins réels (Points, 2022), Laura Vazquez creuse une différence, un courage.
«Regarder les autres pour éviter de se regarder soi-même».
L'auteur est atteint d'un psoriasis chronique, qui remplit son corps de plaques et dont les démangeaisons l'obligent à se gratter jusqu'au sang, mais il n'est pas le seul. Joseph Staline, John Updike, Vladimir Nabokov ou encore Pablo Escobar sont, ou ont été, eux aussi atteints de cette maladie. L'auteur fait entrer, au cours de son récit, interrompant ses propres souvenirs, ces personnages, racontant leur histoire et dressant ainsi une galerie des monstres, selon ses propres mots. Le racisme et l'oeil que la société porte sur les malades sont également des étapes de ce voyage aux confins d'un territoire à la fois commun et privé par essence : la peau. Des vies conditionnées par la fatalité, des secrets que nous recouvrons de vêtements et qui font de notre peau une frontière avec le monde. Un texte inclassable à la lisière de l'essai et du roman, réflexion profonde et sensible où l'intime rejoint le collectif.
«Comme s'il y avait quelque chose au-delà d'un baiser. Il n'y a rien».
Le baiser qui scelle l'histoire d'amour aussi brûlante qu'inattendue entre Salvador et Montserrat surgit en pleine pandémie, dans une cabane au milieu des bois où s'est réfugié Salvador, un professeur de 58 ans. Il a rencontré la belle et sauvage Montserrat au village voisin, où elle tient la seule épicerie du coin. Nous sommes en mars 2020, Salvador relit Don Quichotte à l'aune de ce sentiment d'absolu, cette passion dévorante qui le lie à Montserrat, son Altisidore inespérée, et qui apparaît comme un acte de résistance à l'heure de l'isolement forcé. Jusqu'à ce que ressurgisse inévitablement le passé de chacun, à mesure que s'installe la routine des deux amants.
Les Baisers est un grand roman d'amour, tendre et sensuel, drôle souvent, dramatique, où l'intimité des personnages résonne singulièrement avec la nôtre. La peau des amants, leur désir charnel, leurs baisers, y apparaissent aussi palpables que nécessaires. C'est enfin une réflexion sur la façon dont, en pleine crise mondiale, deux êtres humains tentent de retrouver du sens.
Nous avions quitté Deborah Levy gravissant sur son vélo électrique les collines de Londres et écrivant dans une cabane au fond d'un jardin. Nous la retrouvons, plus impertinente et drôle que jamais, prête à réinventer une nouvelle page de sa vie. Tandis que ses filles prennent leur envol, elle nous emmène aux quatre coins du monde, de New York aux îles Saroniques en passant par Mumbai, Paris ou Berlin, tissant une méditation exaltante et follement intime sur le sens d'une maison et les fantômes qui la hantent.
Entremêlant le passé et le présent, le personnel et le politique, la philosophie et l'histoire littéraire, convoquant Marguerite Duras ou Céline Sciamma, elle interroge avec acidité et humour le sens de la féminité et de la propriété.
Par l'inventaire de ses biens, réels ou imaginaires, elle nous questionne sur notre propre compréhension du patrimoine et de la possession, et sur notre façon de considérer la valeur de la vie intellectuelle et personnelle d'une femme.
Pour être romancière, une femme a besoin d'une chambre à soi, nous disait Virginia Woolf. Deborah Levy complète ce tableau par l'étude d'une demeure pour soi.
Avec État des lieux, qui fait suite à Ce que je ne veux pas savoir et Le Coût de la vie, prix Femina étranger 2020, Deborah Levy clôt son projet d'«autobiographie en mouvement», ou comment écrire sa vie sans mode d'emploi.
Un divorce forcément douloureux, une grande maison victorienne troquée contre un appartement en haut d'une colline dans le nord de Londres, deux filles à élever et des factures qui s'accumulent... Deborah Levy a cinquante ans quand elle décide de tout reconstruire, avec pour tout bagage, un vélo électrique et une plume d'écrivain. L'occasion pour elle de revenir sur le drame pourtant banal d'une femme qui s'est jetée à corps perdu dans la quête du foyer parfait, un univers qui s'est révélé répondre aux besoins de tous sauf d'elle-même. cette histoire ne lui appartient pas à elle seule, c'est l'histoire de chaque femme confrontée à l'impasse d'une existence gouvernée par les normes et la violence sournoise de la société, en somme de toute femme en quête d'une vie à soi.
Ce livre éblouissant d'intelligence et de clarté, d'esprit et d'humour, pas tant récit que manifeste, ouvre un espace où le passé et le présent coexistent et résonnent dans le fracas incessant d'une destinée. Le Coût de la vie tente de répondre à cette question : que cela signifie-t-il pour une femme de vivre avec des valeurs, avec sens, avec liberté, avec plaisir, avec désir ? La liberté n'est jamais gratuite et quiconque a dû se battre pour être libre en connaît le coût. Marguerite Duras nous dit qu'une écrivaine doit être plus forte que ce qu'elle écrit. Deborah Levy offre en partage cette expérience.
Deborah Levy revient sur sa vie. Elle fuit à Majorque pour réfléchir et se retrouver, et pense à l'Afrique du Sud, ce pays qu'elle a quitté, à son enfance, à l'apartheid, à son père - militant de l'ANC emprisonné -, aux oiseaux en cage, et à l'Angleterre, son pays d'adoption. À cette adolescente qu'elle fut, griffonnant son exil sur des serviettes en papier. Telle la marquise Cabrera se délectant du «chocolat magique», elle est devenue écrivaine en lisant Marguerite Duras et Virginia Woolf. En flirtant, sensuelle, avec les mots, qui nous conduisent parfois dans des lieux qu'on ne veut pas revoir. Ce dessin toujours inédit que forme le chemin d'une existence.
Ce que je ne veux pas savoir est une oeuvre littéraire d'une clarté éblouissante et d'un profond secours. Avec esprit et calme, Deborah Levy revient sur ce territoire qu'il faut conquérir pour écrire. Un livre talisman sur la féminité, la dépression, et la littérature comme une opération à coeur ouvert.
Le surf ressemble à Un sport, un passe-temps. Pour ses initiés, c'est bien plus : une addiction merveilleuse, une initiation exigeante, un art de vivre. Elevé en Californie et à Hawaï, William Finnegan a commencé le surf enfant. Après l'université, il a traqué les vagues aux quatre coins du monde, errant des îles Fidji à l'Indonésie, des plages bondées de Los Angeles aux déserts australiens, des townships de Johannesburg aux falaises de l'île de Madère. D'un gamin aventureux, passionné de littérature, il devint un écrivain, un reporter de guerre pour le New Yorker. À travers ses mémoires, il dépeint une vie à contre-courant, à la recherche d'une autre voie, au-delà des canons de la réussite, de l'argent et du carriérisme ; et avec une infinie pudeur se dessine le portrait d'un homme qui aura trouvé dans son rapport à l'océan une échappatoire au monde et une source constante d'émerveillement. Ode à l'enfance, à l'amitié et à la famille, Jours Barbares formule une éthique de vie, entre le paradis et l'enfer des vagues, où l'océan apparaît toujours comme un purgatoire. Un livre rare dont on ne ressort pas tout à fait indemne, entre Hell's Angels de Hunter S. Thompson et Into The Wild de Jon Krakauer.
Nous vivons une époque où des scientifiques cherchent à ressusciter des espèces éteintes, nos écosystèmes les plus essentiels nécessitent désormais des projets d'ingénierie monumentaux pour ne serait-ce que survivre, des ailes de poulet poussent dans des éprouvettes et des sociétés multinationales conspirent pour continuer à empoisonner le sang de ce qu'il reste de créatures vivantes... En somme, nous vivons d'ores et déjà dans un monde où la nature a perdu. Plus aucune pierre, feuille ou mètre cube d'air sur terre n'échappe à la main maladroite de l'humanité. Les trois quarts des terres vierges des pôles portent la trace de l'activité humaine, la plupart des grands fleuves ont été souillés ou détournés, et nos centrales émettent cent fois plus de dioxyde de carbone que les volcans... Les anciennes distinctions - entre naturel et artificiel, entre science-fiction et réalité scientifique - se sont estompées au point de perdre tout sens. Nous habitons un paysage dénaturé, un monde défait, dont le nouveau livre de Nathaniel Rich explore toutes les facettes et toutes les contradictions.
"Si tard dans la journée, personne ne va à Manhattan. Moi si. Je bois une grande cannette de Schlitz, et je fume dans le métro, même. J'ai environ 30 ans, je suis avec ma copine. Tout va bien. Je suis pleine de poèmes".
Dans les années 1970, Eileen Myles a fui l'Amérique catholique et ouvrière pour croquer à pleines dents la vie new-yorkaise : la galère, la poésie, la défonce, l'art - et les filles. De souvenirs d'enfance doux-amers aux virées stupéfiantes au sulfureux Chelsea Hotel, en passant par le feu sacré d'une écriture novatrice, Myles raconte tout, avec une honnêteté et une prose explosives.
Iconoclaste, Eileen Myles compte parmi les poètes vivants les plus célébrés aux États-Unis. Paru en 1994, réédité triomphalement en 2015, Chelsea Girls est aujourd'hui acclamé comme un souffle de liberté littéraire, addictif et magistral. Texte fondateur pour nombre d'artistes contemporains, dont Maggie Nelson, cet inoubliable portrait de l'artiste en jeune queer est enfin traduit en France.
2015, un barman ayant fait voeu de chasteté s'intéresse malgré lui à une cliente qui s'appelle tantôt Oscara, tantôt Fanny ou Cléopâtre. 1999, sous la pluie de bonbons d'une piñata, un adolescent tombe amoureux de sa tante. 1899, au nord des États-Unis, dans un village reculé, un pasteur récite à ses fidèles des passages salaces de la Bible. 2027, trois jeunes femmes se moquent en secret du gourou de leur communauté d'extinctionnistes. Quelque chose ne colle pas, n'a jamais collé dans le rapport entre sexe, amour et procréation. Des générations de personnages, coincés par les normes sociales, testent tour à tour les limites de la décence. Mais entre le tabou et l'acceptable, la frontière n'est pas aussi claire qu'on aimerait le croire. Pas plus qu'entre la vérité et le mensonge...
Fresque vaste et captivante, La Trajectoire des confettis, premier roman de Marie-Ève Thuot, déchiquette en une pluie de confettis le grand cliché des romans d'amour, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
Dans un avenir proche, Haïm Birkner est sur le point d'avoir 108 ans. Il est le plus vieil homme d'Israël, et peut-être le dernier survivant de la Shoah. Alors que l'on propose de le célébrer, Haïm scandalise quand il décide soudain de retourner en Hongrie, dans l'appartement de ses parents qu'il ne s'est jamais résolu à vendre.
Un siècle de souvenirs défile. Les images s'accumulent et se juxtaposent pour composer le roman d'une vie tantôt sincère, tantôt ironique, tantôt tragique, tantôt fantasmée. Juif de Budapest, il se souvient de son enfance, son père, ses mensonges et ses sales affaires, et de ces rouleaux de la Torah qu'ils ont sauvés de la synagogue ; mais aussi de son amour de jeunesse. Il raconte sa fuite du ghetto vers la Palestine dans des circonstances troubles, sauvé mais privé à jamais du statut de victime. Et la vie après : le kibboutz, le mariage, la séparation, les petits boulots, les tricheries, les autres femmes, les nombreuses rencontres, les conflits entre ceux survivants de l'ancien monde et ceux pionniers de l'État d'Israël.
Les Absences de Haïm Birkner est l'histoire inventée et parfois vraie d'un homme las et dévasté, confronté une dernière fois à son passé.
«Pourquoi ne pas accepter que la longue et glorieuse carrière de la liberté touche à sa fin, que notre obsession continuelle à son égard reflète plutôt une pulsion de mort ? 'Ta liberté me tue !' proclament les pancartes des manifestants pendant la pandémie ; 'Ta santé n'est pas plus importante que ma liberté !' s'égosillent en retour les militants anti-masques».
Dès l'ouverture de son livre, Maggie Nelson souligne cette contradiction au centre de tous les débats actuels entre le soin (care) et la liberté. Quelle notion plus caractéristique des oppositions à l'oeuvre dans nos sociétés que celle de liberté, idéal revendiqué comme un cri de ralliement, par des camps que tout oppose ? La liberté reste-t-elle la clé de notre autonomie, de notre justice, de notre bien-être, ou représente-t-elle la fin d'une étoile qui a trop longtemps brillé ? L'obsession collective pour la notion de liberté est-elle toujours synonyme d'émancipation, ou d'un nihilisme de plus en plus profond (ou les deux) ? Comment expliquer que la liberté soit désormais l'étendard du populisme et du puritanisme ?
Dans son nouvel essai, De la liberté, Maggie Nelson nous offre, en s'appuyant sur un vaste corpus, de la théorie critique à la culture populaire, une manière de penser et d'interroger notre propre liberté. Dans la lignée des Argonautes et de son écriture à la fois réflexive et intime, nous retrouvons toute la singularité de celle qui est devenue, au fil des années, une icône de la pensée. Elle convoque et déconstruit les débats du monde de l'art, l'héritage complexe de la libération sexuelle, les douloureux paradoxes de l'attrait du désespoir face au changement climatique. Passionnant, déroutant, nuancé et courageux, De la liberté confronte le lecteur à ses propres contradictions.
Dans le sillage des Pensées de Pascal citées en exergue, Bleuets est un objet hybride quelque part entre l'essai, le récit, le poème. Deux cent quarante fragments composent cette méditation poétique, intime et obsessionnelle autour d'une couleur, le bleu. Le deuil, le sentiment amoureux, la mélancolie sont autant de thèmes chers à Maggie Nelson ici abordés dans une maïeutique convoquant l'art et la beauté entre deux digressions introspectives ou savantes, des fantasmes de l'auteure à des approfondissements autour de la pensée de Platon ou de Goethe, en passant par l'oeuvre d'un Warhol ou d'un Klein ou la musique de Leonard Cohen. Laissons-nous séduire par cette déclaration d'amour fou à une couleur, un livre à ranger précieusement entre les Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes et Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman.
"Et si je commençais en disant que je suis tombée amoureuse d'une couleur. Et si je le racontais comme une confession ; et si je déchiquetais ma serviette en papier pendant que nous discutons. C'est venu petit à petit. Par estime, affinité. Jusqu'au jour où (les yeux rivés sur une tasse vide, le fond taché par un excrément brun et délicat enroulé sur lui-même pareil un hippocampe), je ne sais comment, ça a pris un tour personnel."
B. Rosenberger Rosenberg, critique de cinéma névrosé et méconnu, universitaire, réalisateur et amant raté, occasionnellement vendeur de chaussures, tombe par hasard sur un film inédit dont il est convaincu qu'il fera basculer sa carrière et bouleversera le monde du cinéma. Personne avant B. n'a vu le film, un chef-d'oeuvre en stop motion de trois mois, qui a pris quatre-vingt-dix ans à son auteur reclus. Le plus grand film jamais imaginé. Quand le réalisateur meurt au cours de la projection, B. décide de rapporter toutes les bobines à New York pour l'étudier, écrire le meilleur livre qui soit à son sujet, et s'assurer enfin la gloire et la reconnaissance de ses pairs qui devraient lui revenir de droit. Mais la pellicule est détruite dans l'incendie de son camion. Il ne reste qu'une seule image à partir de laquelle B. doit tenter de reconstituer le film qui pourrait bien être le dernier grand espoir de la civilisation.
Ainsi commence un voyage époustouflant à travers le cauchemar hilarant d'une psyché aussi luxurieusement kafkaïenne qu'atrophiée par le vomissement incessant de Twitter. Dans une tentative désespérée de mettre de l'ordre dans une existence de plus en plus absurde, pris au piège d'une mécanique de victimisation et d'une logorrhée aliénante, B. se démène pour recréer le chef-d'oeuvre perdu tout en essayant de suivre le rythme de la culture toujours plus fracturée des «like» et des dénonciations arbitraires, qui sont à la fois sa bête noire et sa raison d'être.
Satire brûlante du monde moderne, Antkind est une méditation généreuse et savoureuse sur l'art, le temps, la mémoire, l'identité, la comédie et la nature même de l'existence - cette petite particule de vérité au coeur de toute blague.
Mary MacLane, jeune femme américaine de Butte, ville minière du Montana, se destine très tôt à l'écriture. Elle devient rédactrice du journal de son école en 1898 et, quatre ans plus tard, alors âgée de dix-neuf ans, publie son premier livre, Que le diable m'emporte. Dans ce journal confessionnel, Mary MacLane fait étalage de ses fantasmes, y proclame son génie tout en y défendant ses idées philosophiques scandaleuses. Elle y décrit une vie à contre-courant, bien différente de celle des jeunes filles du début du XXe siècle, issues des campagnes américaines. Une oeuvre anticonformiste, à la liberté souveraine, aussi sulfureuse que courageuse et qui fit sensation, puisque cent mille exemplaires se sont vendus dès le premier mois de sa sortie en 1902.
Une découverte !
Avec l'audace qui la caractérise, Maggie Nelson raconte l'histoire d'un fantôme familial, Jane, sa tante, morte assassinée en 1969, alors étudiante en droit à l'université du Michigan.
À travers une série de collages de poèmes, sources documentaires, fragments du journal intime de sa tante, brèves dans des journaux et enquête sur les traces de la disparue, Maggie Nelson explore la nature de ce fait divers, le dernier en date d'une macabre série d'assassinats perpétrés dans la région. Dans cette grande oeuvre écrite sous forme de long poème, l'autrice éclaire l'ombre portée sur son passé, et interroge ces fantômes qui peuplent nos vies et que l'on tait. Elle crée une forme hybride et poétique qui impose une réalité brutale au silence pesant, la juge, la confronte et la fait plier par l'écriture. L'ouvrage présent réunit deux livres de Maggie Nelson dans un volume tête-bêche. Jane, un meurtre, enquête poétique sur la disparue. Une partie rouge, au verso, démarre à l'instant où la police annonce l'arrestation d'un suspect et la tenue d'un procès.
Cet ensemble que l'on pourrait nommer «Le livre de Jane» est un document littéraire unique sur un féminicide et sur la violence à l'oeuvre dans nos sociétés.
Omar, un jeune chauffeur et interprète afghan, décide de prendre la route de l'exil, laissant derrière lui son pays et son amour, Laila, sans savoir s'il pourra les retrouver un jour.
Matthieu Aikins, grand reporter, correspondant depuis 2008 du New York Times en Afghanistan, est devenu peu à peu l'ami d'Omar, son traducteur et chauffeur. Lorsque ce dernier lui annonce sa décision de rejoindre l'Europe, le journaliste décide de le suivre. Il change d'identité, détruit son passeport et se lance à ses côtés dans une odyssée parmi des millions de réfugiés prêts à s'arracher à leurs vies et leurs familles dans l'espoir d'une existence meilleure.
Nous sommes en 2016, au pic de la crise des réfugiés, et Matthieu Aikins raconte les dangers et les peurs, la traversée de pays en guerre, les passeurs, la solidarité comme la haine, la terrible situation du camp de Lesbos et de l'accueil en Europe.
Dans la pure tradition du journalisme en immersion, de Florence Aubenas ou Ted Conover, loin d'un document racoleur, l'auteur par la profondeur de son regard, son empathie et son écriture, se détache du simple reportage et nous offre une réflexion à hauteur d'hommes et de femmes, sur la condition de réfugié, les frontières, et l'éthique même de sa démarche.
Les humbles ne craignent pas l'eau est une histoire d'amitié et de courage inoubliable, un livre décisif qui explore avec précision et empathie l'un des grands défis de notre temps.
«Je connaissais Omar depuis que j'avais commencé à travailler en Afghanistan et il avait toujours rêvé de vivre en Occident, mais ses aspirations s'étaient faites plus urgentes maintenant que son pays avait replongé dans la guerre civile et que les attentats à la bombe ensanglantaient sa ville. Les soldats américains commençaient à quitter le pays, j'essayais de partir moi aussi, essoré par sept années sur place, mais je ne pouvais pas abandonner Omar (...) Des milliers de personnes débarquaient chaque jour sur de petits bateaux. Un million de personnes allaient gagner l'Europe. Et Omar et moi en ferions partie.»
William Finnegan a passé sa vie à naviguer entre les théâtres d'opération et les vagues, une existence entre deux eaux qu'il a racontée dans un livre inoubliable et merveilleux : Jours Barbares. À la naissance de sa fille Mollie, il s'est rangé des planches. À ses douze ans, lorsqu'elle se révèle une grimpeuse-née, l'écrivain-reporter décide de la suivre dans son apprentissage. Tandis que Mollie endosse le rôle d'entraîneur et de mentor, voire de gourou, son père se doit de repousser sans cesse ses limites pour suivre son rythme, bousculant quelque peu la dynamique parent-enfant. Il raconte alors l'escalade comme l'envers de sa propre obsession pour l'eau, non plus la quête éperdue de ces «montagnes qui chancellent au milieu de l'océan», mais la recherche frénétique de vagues tortueuses en forme de pics à gravir. À travers ce récit d'initiation, William Finnegan nous guide dans le monde singulier de la grimpe - des salles d'escalade de New York ou des blocs de Central Park aux parois rocheuses du Vermont ou aux falaises du Mexique et du Canada. Mollie, adolescente douce et ironique, ouvre la voie, et ce qui commence comme un passe-temps pour le père et la fille devient vite une obsession où toute occasion est bonne pour enfiler les chaussons et attaquer les «problèmes'' sur le mur ou les «itinéraires'' sur la paroi. Ensemble, ils apprennent un nouveau langage et se forgent de nouveaux souvenirs. À mesure qu'ils se lancent dans des ascensions toujours plus hautes et toujours plus délicates, ils font aussi l'apprentissage d'une notion cardinale : l'expérience du danger, ce que les grimpeurs nomment l'exposition. Et en creux, une leçon de vie simple mais décisive : tomber, c'est être humain.
Formidable plongée dans le monde de l'escalade, Avec Mollie offre un regard tendre, bienveillant sur cette relation unique entre un père et une fille.
On entre dans le livre de Lillian Ross comme on avancerait dans le musée Grévin, par une galerie d'acteurs et d'actrices. D'un article dénonçant le maccarthysme sévissant à Hollywood dans les années 1960, à une rencontre avec Julie Andrews et Al Pacino ou une partie de tennis avec Charlie Chaplin. Mais on y croise aussi des anonymes, série de jeunes gens, ainsi qu'elle les nomme, d'un bus jaune aux 'écrasemerdes' de Madison Avenue. Portraits de badauds, doux dingues, de l'histoire vraie et inouïe d'un matador né à Brooklyn au portrait d'une maîtresse d'école de Central Park. Le menu se compose aussi de quelques gros poissons, Coco Chanel, Hemingway ou Fellini.
Dans cette anthologie réunissant soixante-dix ans de portraits et de reportages d'une légende du New Yorker, on décèle un sens profond de l'empathie et une écoute rare, une capacité à mêler le sérieux au trivial, l'inconnu à l'étoile sans distinction de valeur et sans déférence particulière, proche en cela d'un Gay Talese ou d'un Tom Wolfe. Parmi ses inconditionnels lecteurs, Martin Scorsese ou Wes Anderson, mais aussi J. D. Salinger qui lui écrivit un jour après la lecture de l'un de ses papiers : «C'est de la littérature, que j'aimerai toujours et n'oublierai jamais».
«Incroyablement curieuse, extrêmement courageuse, avec un sens rare de l'écoute : à travers Lillian Ross et ses mythiques reportages, nous avons la chance de nous faufiler dans l'intimité des plus grands (Chaplin, Hemingway, Truffaut, Huston)».
Wes Anderson.
«Pour tous ceux qui s'intéressent aux films, les articles de Lillian Ross étaient et sont toujours essentiels».
Martin Scorsese.
À l'intérieur de ce coffret réunissant la trilogie Autobiographie en mouvement, un carnet contenant un poème inédit de Deborah Levy vous est offert.
Le 7 janvier 1980, Gay Talese reçoit à son domicile new-yorkais une lettre anonyme en provenance du Colorado. Le courrier débute ainsi : "Je crois être en possession d'informations importantes qui pourraient vous être utiles." L'homme, Gerald Foos, confesse dans cette missive un secret glaçant : voyeur, il a acquis un motel à Denver dans l'unique but de le transformer en "laboratoire d'observation". Avec l'aide de son épouse, il a découpé dans le plafond d'une douzaine de chambres des orifices rectangulaires de 15 centimètres sur 35, puis les a masqués avec de fausses grilles d'aération lui permettant de voir sans être vu. Il a ainsi épié sa clientèle pendant plusieurs décennies, annotant dans le moindre détail ce qu'il observait et entendait - sans jamais être découvert. A la lecture d'un tel aveu, Gay Talese se décide à rencontrer l'homme. Au travers des notes et des carnets du voyeur, matériau incroyable découpé, commenté et reproduit en partie dans l'ouvrage, l'écrivain va percer peu à peu les mystères du Manor House Motel. Le plus troublant d'entre eux : un meurtre non résolu, digne d'une scène de Psychose, auquel le voyeur assisterait, impuissant.
Le voyeur exige l'anonymat; l'écrivain, soucieux de toujours livrer les véritables identités de ses personnages, s'en tient aux prémices de son enquête. Trente-cinq ans plus tard, Gerald Foos se décide à rendre publique sa machination et Gay Talese peut enfin publier ce livre dérangeant et fascinant.
Le Motel du Voyeur interroge aussi, à travers la figure de Gerald Foos, étrange double pervers de l'auteur, la position du journaliste qui scrute le réel en observateur - en voyeur. Au-delà du fait divers, cette plongée hallucinante dans la psyché américaine, parcourt une sociologie criminelle des moeurs, et s'avère être le plus parfait des romans noirs, à mi-chemin du chef-d'oeuvre de Truman Capote De sang-froid et du Journaliste et l'Assassin de Janet Malcolm. Gênant, passionnant, troublant, autant le dire , roman ou enquête, vous j'avez jamais lu un tel livre.